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Les « Lettres de Jérusalem » sont rapportées par Eugène-François Vidocq dans son livre « Mémoires de Vidocq, chef de la police de Sûreté, jusqu'en 1827 ».

Il y explique, à l'usage de la « bonne société » et des « honnêtes gens », comment se méfier des fripons (dont il était) et on y trouve expliqué que, dès la Révolution française (1789), fin du XVIIIème s. / début XIXème s., il existe diverses formes d'arnaques qui, plus tard, fin du XXème s., seront regroupées sous le terme de « Fraude 419 » (ou « Scam Nigérien » et plusieurs dizaines d'autres synonymes).

Eugène-François Vidocq est un français né le 24 juillet 1775 à Arras, mort le 11 mai 1857 à Paris. C'est un aventurier, voleur, bagnard, forçat, évadé du bagne, puis indicateur de police, détective, et enfin chef de la brigade de la Sûreté parisienne en 1811. À la tête de cette brigade qui deviendra le Service de sûreté de la préfecture de police (ancêtre de la Direction Régionale de la Police Judiciaire parisienne), il est le père de la PJ (Police Judiciaire).

Le texte ci-après est tiré de son livre en quatre volumes « Mémoires de Vidocq, chef de la police de Sûreté, jusqu'en 1827 » (publié en 1828 - Volume 1).

Il écrit que "Les événements de notre première Révolution ont donné naissance aux lettres de Jérusalem" donc ce type d'arnaques (d'escroqueries), qui relèvent de l'ingénierie sociale, aurait commencé peu après 1789, en France.

Les « Lettres de Jérusalem » sont le fait de prisonniers incarcérés au bagne de Toulon ou détenus à la prison de Bicêtre, à proximité de Paris. Appelées "Lettres de Jérusalem", peut-être parce qu'une rue de Jérusalem jouxtait les murs de la prison de Bicêtre, ces lettres étaient envoyées par les prisonniers et Charles Vidocq, ancien voleur devenu chef de la sécurité sous la Restauration, en reproduit une dans ses Mémoires et la commente.

Lettres de Jérusalem
Lettres de Jérusalem




Outre le fait que la « Fraude 419 » serait donc une invention française, on remarquera un taux de réussite de 20% (et des complicités à l'intérieur des prisons) !

Lorsque Vidocq parle de victimes « connues par leur attachement à l'ancien ordre de choses », il évoque les tenants du royaume de France qui vient de tomber avec la Révolution - ce sont ces tenants de l'ordre ancien qui sont les victimes des « Lettres de Jérusalem ».

Commentaire de Vidocq

l'impudence des voleurs et l'immoralité des employés étaient portées si loin, qu'on préparait ouvertement dans la prison des tours de passe-passe et des escroqueries dont le dénouement avait lieu à l'extérieur. Je ne citerai qu'une de ces opérations, elle suffira pour donner la mesure de la crédulité des dupes et de l'audace des fripons.

Ceux-ci se procuraient l'adresse de personnes riches habitant la province, ce qui était facile au moyen des condamnés qui en arrivaient à chaque instant : on leur écrivait alors des lettres, nommées en argot lettres de Jérusalem, et qui contenaient en substance ce qu'on va lire. Il est inutile de faire observer que les noms de lieux et de personnes changeaient en raison des circonstances.

Exemple de Lettre de Jérusalem

« MONSIEUR,

Vous serez sans doute étonné de recevoir cette lettre d'un inconnu qui vient réclamer de vous un service : mais dans la triste position où je me trouve, je suis perdu si les honnêtes gens ne viennent pas à mon secours ; c'est vous dire que je m’adresse à vous, dont on m’a dit trop de bien pour que j’hésite un instant à vous confier toute mon affaire. Valet de chambre du marquis de…, j’émigrai avec lui. Pour ne pas éveiller les soupçons, nous voyagions à pied et je portais le bagage, y compris une cassette contenant seize mille francs en or et les diamants de feue madame la marquise. Nous étions sur le point de joindre l'armée de…, lorsque nous fûmes signalés et poursuivis par un détachement de volontaires. Monsieur le marquis, voyant qu'on nous serrait de près, me dit de jeter la cassette dans une mare assez profonde, près de laquelle nous nous trouvions, afin que sa présence ne nous trahît pas dans le cas où nous serions arrêtés. Je comptais revenir la chercher la nuit suivante ; mais les paysans, ameutés par le tocsin que le commandant du détachement faisait sonner contre nous, se mirent avec tant d'ardeur à battre le bois où nous étions cachés, qu'il ne fallut plus songer qu'à fuir. Arrivés à l'étranger, monsieur le marquis reçut quelques avances du prince de… ; mais ces ressources s'épuisèrent bientôt, et il songea à m’envoyer chercher la cassette restée dans la mare. J’étais d'autant plus sûr de la retrouver, que le lendemain du jour où je m’en étais dessaisi, nous avions dressé de mémoire le plan des localités, dans le cas où nous resterions long-temps sans pouvoir y revenir. Je partis, je rentrai en France, et j’arrivai sans accident jusqu'au village de…, voisin du bois où nous avions été poursuivis. Vous devez connaître parfaitement ce village, puisqu'il n'est guères qu'à trois quarts de lieue de votre résidence. Je me disposais à remplir ma mission, quand l'aubergiste chez lequel je logeais, jacobin enragé et acquéreur de biens nationaux, remarquant mon embarras quand il m’avait proposé de boire à la santé de la république, me fit arrêter comme suspect. Comme je n'avais point de papiers, et que j’avais le malheur de ressembler à un individu poursuivi pour arrestation de diligences, on me colporta de prison en prison pour me confronter avec mes prétendus complices. J’arrivai ainsi à Bicêtre, où je suis à l'infirmerie depuis deux mois.

Dans cette cruelle position, me rappelant avoir entendu parler de vous par une parente de mon maître, qui avait du bien dans votre canton, je viens vous prier de me faire savoir si vous ne pourriez pas me rendre le service de lever la cassette en question, et de me faire passer une partie de l'argent qu'elle contient. Je pourrais ainsi subvenir à mes pressants besoins, et payer mon défenseur, qui me dicte la présente et m’assure qu'avec quelques cadeaux, je me tirerai d'affaire.

Recevez, Monsieur, etc.

Signé N… »

Commentaire de Vidocq

Sur cent lettres de ce genre, vingt étaient toujours répondues. On cessera de s'en étonner si l'on considère qu'elles ne s'adressaient qu'à des hommes connus par leur attachement à l'ancien ordre de choses, et que rien ne raisonne moins que l'esprit de parti. On témoignait d'ailleurs au mandataire présumé cette confiance illimitée qui ne manque jamais son effet sur l'amour-propre ou sur l'intérêt ; le provincial répondait donc en annonçant qu'il consentait à se charger de retirer le dépôt. Nouvelle missive du prétendu valet de chambre, portant que, dénué de tout, il avait engagé à l'infirmier pour une somme assez modique la malle où se trouvait, dans un double fond, le plan dont il a déjà été question. l'argent arrivait alors, et l'on recevait jusqu'à des sommes de douze et quinze cents francs. Quelques individus, croyant faire preuve d'une grande sagacité, vinrent même du fond de leur province à Bicêtre, où on leur remit le plan destiné à les conduire dans ce bois mystérieux, qui, comme les forêts fantastiques des romans de chevalerie, devait fuir éternellement devant eux. Les Parisiens eux-mêmes donnèrent quelquefois dans le panneau ; et l'on peut se rappeler encore l'aventure de ce marchand de drap de la rue des Prouvaires, surpris minant une arche du Pont-Neuf, sous laquelle il croyait trouver les diamants de la duchesse de Bouillon.

On comprend, du reste, que de pareilles manœuvres ne pouvaient s'effectuer que du consentement, et avec la participation des employés, puisqu'eux-mêmes recevaient la correspondance des chercheurs de trésors. Mais le concierge pensait qu'indépendamment du bénéfice indirect qu'il en retirait, par l'accroissement de la dépense des prisonniers, en comestibles et en spiritueux, ceux-ci, occupés de cette manière, en songeaient moins à s'évader.




Vidocq donne un autre exemple de lettre de Jérusalem, plus longuement, avec d'autres termes, dans son dictionnaire argot / français (Les voleurs - publié en 1836), pages 81 à 85.

"Les Voleurs, physiologie de leurs mœurs et de leur langage. Ouvrage qui dévoile les ruses de tous les fripons, et destiné à devenir le Vade Mecum de tous les honnêtes gens, par E. F. Vidocq, ex-chef de la police de sûreté."

Cet ouvrage peut être consulté intégralement et gratuitement à :
Eugène-François Vidocq : Lettre de Jérusalem - Dictionnaire argot-français (Editions du Boucher)
Eugène-François Vidocq : Lettre de Jérusalem - Dictionnaire argot-français (Copie sur Books Google)

Commentaire de Vidocq

Les événements de notre première Révolution ont donné naissance aux lettres de Jérusalem ainsi qu'aux vols à la graisse et à plusieurs autres. De la fin de 1789 à l'an VI de la République, des sommes très considérables, résultats de lettres de Jérusalem, sont entrées dans les diverses prisons du département de la Seine, et notamment à Bicêtre. En l'an VI, il arriva dans cette dernière prison, et dans l'espace de deux mois, plus de 15.000 francs. Voici quelle était la manière de procéder des prisonniers qui voulaient faire un arcat, c'est-à-dire escroquer de l'argent à une personne au moyen d'une lettre de Jérusalem. Ils se procuraient les adresses de plusieurs habitants des départements, et, autant que possible, ils choisissaient ceux qui regrettaient l'ancien ordre de choses et qu'ils croyaient susceptibles de se laisser séduire par l'espoir de faire une opération avantageuse ; on adressait à ces personnes une lettre à peu près semblable à celle-ci :

Exemple de Lettre de Jérusalem

« Monsieur,

« Poursuivi par les révolutionnaires, M. le vicomte de ***, M. le comte de ***, M. le marquis de *** (on avait soin de choisir le nom d'une personnalité connue et récemment proscrite), au service duquel j'étais en qualité de valet de chambre, prit le parti de se dérober par la fuite à la rage de ses ennemis ; nous nous sauvâmes, mais suivis pour ainsi dire à la piste, nous allions être arrêtés lorsque nous arrivâmes à peu de distance de votre ville ; nous fûmes forcés d'abandonner notre voiture, nos malles, enfin tout notre bagage ; nous pûmes cependant sauver un petit coffre contenant les bijoux de Madame, et 30 000 francs en or ; mais, dans la crainte d'être arrêtés nantis de ces objets, nous nous rendîmes dans un lieu écarté et non loin de celui où nous avions été forcés de nous arrêter ; après en avoir levé le plan, nous enfouîmes notre trésor, puis ensuite nous nous déguisâmes, nous entrâmes dans votre ville et allâmes loger à l'hôtel de ***.

Nous nous informâmes en soupant d'une personne à laquelle on pût, au besoin, confier des sommes un peu fortes ; nous voulions charger cette personne de déterrer notre argent, et de nous l'envoyer par petites parties au fur et à mesure de nos besoins, mais la destinée en ordonna autrement.

« Vous connaissez sans doute les circonstances qui accompagnèrent l'arrestation de mon vertueux maître, ainsi que sa triste fin. Plus heureux que lui, il me fut possible de gagner l'Allemagne, mais, bientôt assailli par la plus affreuse misère, je me déterminai à rentrer en France. Je fus arrêté et conduit à Paris ; trouvé nanti d'un faux passeport, je fus condamné à la peine des fers, et maintenant, à la suite d'une longue et cruelle maladie, je suis à l'infirmerie de Bicêtre. J'avais eu, avant de rentrer en France, la précaution de cacher le plan en question dans la doublure d'une malle qui, heureusement, est encore en ma possession. Dans la position cruelle où je me trouve, je crois pouvoir, sans mériter le moindre blâme, me servir d'une partie de la somme enfouie près de votre ville. Parmi plusieurs noms que nous avions recueillis, mon maître et moi, à l'hôtel, je choisis le vôtre. Je n'ai pas l'honneur de vous connaître personnellement, mais la réputation de probité et de bonté dont vous jouissez dans votre ville m'est un sûr garant que vous voudrez bien vous acquitter de la mission dont je désire vous charger, et que vous vous montrerez digne de la confiance d'un pauvre prisonnier qui n'espère qu'en Dieu et en vous.

« Veuillez, Monsieur, me faire savoir si vous acceptez ma proposition. Si j'étais assez heureux pour qu'elle vous convînt, je trouverais les moyens de vous faire parvenir le plan, de sorte qu'il ne vous resterait plus qu'à déterrer la cassette ; vous garderiez le contenu entre vos mains ; seulement vous me feriez tenir ce qui me serait nécessaire pour alléger ma malheureuse position.

« Je suis, etc. »

P.S. Il n'est pas nécessaire de vous dire qu'une affaire semblable à celle que je vous propose doit être faite avec la plus grande discrétion ; ainsi, dans votre réponse, qui devra passer par le greffe de la prison avant de m'être remise, bornez-vous, seulement à me répondre, oui, ou non.

Commentaire de Vidocq

Toutes les lettres de Jérusalem étaient calquées sur le même modèle, et tous les jours il en sortait, des prisons de la Seine, une très grande quantité; sur dix, sur vingt même, une tombait entre les mains d'un individu qui, par bonté d'âme, ou dans l'espoir de s'approprier tout ou partie du trésor, voulait bien se charger de la commission, et qui répondait au prisonnier. (C'est ici le lieu de faire remarquer que ce n'était jamais à celui qui avait monté l'arcat que la réponse était adressée ; un autre prisonnier était chargé de figurer, c'est-à-dire, de représenter, au besoin, le domestique infortuné du comte ou du marquis.).

Lorsque la réponse du pantre était parvenue à l'arcasineur, il s'empressait de lui écrire qu'il bénissait le ciel qui avait bien voulu permettre que la première personne à laquelle il s'était adressé, fût assez bonne pour compatir à ses peines; il était prêt, disait-il, à lui envoyer le plan qui devait le guider dans ses recherches; mais pour le moment cela lui était impossible, attendu que, pour subvenir à ses premiers besoins, il avait été forcé de mettre sa malle, et tout ce qu'elle contenait, entre les mains d'un infirmier, en garantie d'une somme de… (la somme était toujours en rapport avec la fortune présumée de l'individu auquel on s'adressait). Mais pourtant, ajoutait en terminant l'arcasineur, si vous voulez avoir l'extrême complaisance de m’envoyer la somme due par moi à l'infirmier, je vous enverrai de suite le plan, et toutes les indications qui vous seraient nécessaires.

La cupidité exerce un tel empire sur la plupart des hommes, que, presque toujours, le prisonnier recevait la somme qu'il avait demandée ; il arrivait même que, par excès de complaisance ou de précaution, le sinve l'apportait lui-même, ce qui ne l'empêchait pas de subir le sort du commun des martyrs.




De très nombreuses escroqueries, arnaques et fraudes, sur le Web, ne relèvent pas des Fraudes 419 mais s'en rapprochent par les mécanismes mis en place. Il s'agit de soutirer de l'argent à une victime, en arguant de tout et n'importe quoi, car il y a toujours au moins un point faible chez tout le monde et il y a toujours d’innombrables personnes en état de faiblesse. Il suffit de trouver le point faible et d'appuyer dessus pour que l'escroquerie s'allume.

Toutes ces arnaques abusent de la crédulité des victimes par usage de techniques de persuasion relevant de l'Ingénierie sociale.

Il faut appâter la victime avec un baratin quelconque, faisant participer la future victime à une histoire romanesque où il est question de tragédies bouleversantes, ou de sauvetages héroïques, ou d'aventures, etc. Il est toujours question de récompenses, de promesses de gains à faire pâlir un roi ou rêver un adolescent à la recherche de trois francs six sous pour acheter le dernier jeu vidéo à la mode. Oh ! Il y a bien quelques menus frais à avancer, mais qu’importe puisqu'on y croit. On a besoin d'y croire !

Il doit être possible d'extorquer le prix d'une balade en fusée à des crédules pour leur prouver que la terre est plate et que prétendre le contraire n'est qu'un complot mondial !