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Plan Calcul

Plan Calcul : en 1966, la CII (Compagnie Internationale pour l'Informatique) est crée qui prendra le nom de BULL en 1982. Le « Plan Calcul » va lui offrir un « Chiffre d'affaire garanti » !

cr  01.04.2012      r+  21.08.2020      r-  20.04.2024      Pierre Pinard.         (Alertes et avis de sécurité au jour le jour)

Nous pouvons, nous, La France, verser des rivières de larmes avec le « Plan Calcul » que le Général de Gaulle lance en 1966. L'idée était grande pour la France, mais sa mise en œuvre fut catastrophique.

Nous avions, au début des années 1960, une grosse société française, Bull, deuxième constructeur mondial derrière IBM.

Origine de BULL et du nom BULL

Bull avait été fondée en 1931 à partir d'une société allemande utilisant le nom de Fredrik Rosing Bull (1882—1925) dont les brevets avaient été rachetés.

On est encore dans la période dite de la mécanographie, avec ses cartes perforées, ses bandes perforées, ses trieuses, ses taqueuses, la fameuse perforatrice manuelle Bull P 80, etc.

Le circuit intégré vient d'être inventé, en 1958, par l'américain Texas Instruments, d'après le bricolage de son employé Jack Kilby.

Cette même année - 1958 - Bull invente l'ordinateur géant Gamma 60 (Bull G60) et l'annonce à la commercialisation en 1960, avec toute la gamme Gamma. Le Gamma 60 est l'un des tout premiers ordinateurs utilisant plusieurs processeurs et son petit frère, le Gamma 10, pénètre très bien le marché européen.

On voit aussi la naissance d'Algol comme langage de programmation, inventant la récursivité (on n'imagine pas, aujourd'hui, que la récursivité ait pu ne pas exister !).

Mais le Gamma 60 (G60) est supporté par un système d'exploitation génial et révolutionnaire, multitâche. Mais ce Système d'Exploitation (SE) n'est pas encore mûr - le multitâche n'avait encore jamais été vu et Bull piétine, obligée d'envoyer sans cesse des ingénieurs chez ses clients.

Bull G60 est alors écrasé par une autre machine, du constructeur d'ordinateurs américain : IBM. C'est l'IBM 1401 (sur lequel j'ai commencé mes premiers cours d'informatique).

Bull G60 et IBM 1401 ont, tous deux, une taille mémoire maximum colossale de... 4 KO (4096 octets !). La programmation est hyper optimisée, le langage de programmation ne peut être que l'assembleur.

Même le marché plus ou moins captif de Bull (les grandes entreprises françaises [banques, assurances, etc.] et les administrations françaises) est pénétré par IBM. Bull ne vend que 17 Bull G60 et tente d'introduire en précipitation un ordinateur de moyenne gamme, le Bull G30 (qui est, en réalité, un produit RCA sous licence) ! Il est déjà trop tard - IBM va sortir le fabuleux IBM 360 en 1965 et RCA va abandonner l'informatique.

En 1962, c'est aussi le Krach du 28 mai 1962. La bulle spéculative sur l'électronique (« tronics-mania ») de 1959-1962 éclate aux États-Unis.

Le cours de l'action Bull, qui était passé de 130 francs en 1958 à 1 380 francs en 1960, s'effondre à 150 francs.

En 1963, Bull souhaite être recapitalisée par l'entrée de General Electric dans son capital. General Electric offre 200 francs par action. Valéry Giscard, alors ministre des Finances, refuse l'entrée de l'américain et :

  • N'accorde que la garantie de la dette (des emprunts) à Bull.
  • Impose un consortium français (CGE, CSF et Caisse des Dépôts), qui a fait évaluer l'action à 50 francs et entre au capital.

Le 15 février 1964, Valéry Giscard impose une solution, annoncée à l'Assemblée Générale du 14 avril 1964, mais où General Electric, à la demande de Bull (son ancien président, Georges Vieillard, alors à la retraite, à la demande du président actuel, Joseph Callies, œuvre pour faire entrer General Electric dans le tour de table afin d'avoir un actionnaire américain dans Bull pour faire face à IBM) entre à hauteur de 49% du capital et les actionnaires initiaux, dont les employés, n'ont plus que 51% des parts.

Bull devient Bull General Electric, mais l'américain General Electric se garde le haut de gamme et le français Bull ne fait plus de recherches et développements que sur la moyenne gamme. La France n'a plus d'ordinateurs de haut de gamme maison et, lors de la tentative d'achat d'un énorme CDC 6600 (société Control Data Corporation fondée par Seymour Cray qui va bientôt créer Cray Researh et sortir le fabuleux Cray 1, l'ordinateur le plus puissant du monde, dont les composants baignent, pour refroidissement, dans un liquide caloporteur fluorocarboné) par la France pour ses simulations (CEA - Commissariat à l'Énergie Atomique, pour EDF, qui se prépare à sortir ses premières centrales nucléaires), le Pentagone (bâtiment abritant le département de la Défense des États-Unis d'Amérique) s'y oppose. Le besoin énorme de la France en puissance de calcul est aussi propulsé par la météorologie nationale, etc.

l'État français prend alors conscience d'un besoin impératif d'indépendance informatique et, en 1966, la CII (Compagnie Internationale pour l'Informatique) est créée par la fusion de trois sociétés jugées trop petites prises individuellement :

  1. La CAE (Compagnie européenne d'Automatisme Électronique, filiale de CGE )
  2. La SEA (Société d'Électronique et d'Automatisme, filiale de Schneider)
  3. Intertechnique (filiale du Groupe Rivaud - Intertechnique restera hors de la CII sur le plan industriel, mais possède une participation dans la CAE).

C'est le « Plan Calcul » du Président de Gaulle.

Pour la petite histoire de la saga Bull :

Bull-General Electric fait 6 années de pertes

General Electric recapitalise, devient largement majoritaire, puis se retire de l'informatique en mai 1970 et met ses parts en vente.

Les actionnaires français de Bull, Thomson et CGE, refusent de racheter les parts de General Electric et s'opposent à ce que ce ne soit ni la CII ni l'État français, qui le fasse !

Finalement, c'est le constructeur américain de matériels militaires Honeywell qui reprend les parts de General Electric.

En 1970, la société prend le nom de Honeywell Bull. Bull est alors le deuxième constructeur mondial d'ordinateurs, derrière IBM.

En 1975, fusion obligée par l'État avec la CII et la société prend le nom de CII Honeywell Bull :

  1. Sur fond d'esclandres et de scandales :
    • Subventions de l'État français à la CII alors que Honeywell est américaine
    • Valéry Giscard, devenu Président de la République, met fin à l'accord informatique européen UNIDATA alors en pleine réussite pour satisfaire un copain de la CGE qui veut protéger son marché des PTT
    • Etc.
  2. Sur fond de traits de génie :
    • Adoption et travail sur les datagrammes qui fondent l'architecture ARPANET à transferts de paquets, qui deviendra Internet
    • Naissance des notions d'Informatique distribuée à l'époque où domine l'hypercentralisation symbolisée par les IBM 360 et IBM 370 (mon professeur de "Théories et systèmes d'organisation", au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), le cher et regretté Bruno Lussato, chantre de l'informatique répartie, prédisait la révolution micro-informatique dès 1971)
    • Magnifique Système d'exploitation GCOS, développé par General Electric, encore utilisé de nos jours
    • Architecture DSA (Distributed System Architecture) adoptée mondialement en devenant le Modèle OSI (les 7 couches)
    • Langage de programmation ADA conçu par l'équipe CII-Honeywell Bull dirigée par Jean Ichbiah (ADA gagne l'appel d'offres du département de la Défense des États-Unis (DoD) et est adopté par le Pentagone)
    • Etc.

La société prend le nom de BULL en 1982. Elle est détenue à hauteur de 84,25 % du capital par ATOS, depuis 2012, et l'État français détient 25 millions d'euros au travers du FSI (Fonds Stratégique d'Investissement) depuis le 04.08.2011.

Le « Plan Calcul » va offrir à BULL la folie, le délire d'un « Chiffre d'affaires garanti ». Ce protectionnisme qui cache son nom garanti aux entreprises le libre choix de leurs systèmes informatiques (les entreprises françaises peuvent lancer leurs appels d'offres de manière ouverte et acheter leurs ordinateurs où elles veulent, chez qui elles veulent), mais...

Si à la fin de chaque année fiscale, BULL n'a pas fait un chiffre d'affaires garanti par l'État, ces entreprises qui auraient acheté ailleurs auront à payer à BULL la différence entre ce qu'elles ont payé ailleurs et le montant du devis, rejeté, de BULL !

Une entreprise avec un chiffre d'affaires garanti par l'État ! Vous croyez qu'elle va se battre commercialement et cracher au bassinet de la RD (Recherche et Développement) ?

J'ai toujours été persuadé que s'il n'y avait pas eu ce chiffre d'affaires garanti, et ces copinages politiques / industriels, BULL se serait battu pour être gagnant.

« État providence » a toujours été « État décadence ».